L’ héroïne de Föhr.
J’avais décidé de faire un voyage en vélo. J’en rêvais !
Vous en connaissez beaucoup des Français, qui accepteraient de passer leurs vacances à se ruiner l`entrecuisse, braver des chaleurs estivales et les moqueries des collègues de bureau à leur retour, pour être fidèles à leurs principes sur la réduction des gaz à effet de serre et sur l’authenticité des vacances ?
Il y en a bien quelques uns, mais les plus engagés, voire enragés, ce sont bien les Allemands !
Le voyage en vélo avec tout le bardât accroché aux porte-bagages, la carte routière dans la poche en plastique sur le guidon, le mouchoir sur la tête contre le soleil, les cuisses rouges et le front transpirant, la cape de pluie, la tenue cycliste, même pour les femmes -ce qui est pour nous les françaises, le comble du manque d’élégance- et même pas de voiture balai ou d’organisation dans le pays pour vous aider à transporter vos bagages et tout cela sous le soleil de plomb d’un mois d’ aout : cela, je ne l’ai vu faire que par des Allemands et éventuellement par des Hollandais, qui sont de toute façon de notre point de vue, leurs cousins proches.
Les terres frontalières, septentrionales, îliennes ont toujours une force d’attraction, un côté « bout du monde » qui vous font rêver à des rencontres extraordinaires et des destinées particulières. Les îles frisonnes me faisaient cet effet –là.
Rien que le nom « îles frisonnes » ! Quel effet ! Les îles frisonnes à vous donner le frisson !
Lorsque chacun a passé bêtement ses vacances en Bretagne, sur
Le « Ö » est en soi pour le Français d’un exotisme bouleversant, d’une force évocatrice renversante et là, tout d’un coup, il arrive à situer d’un air vainqueur où vous êtes allés : « Tu es allée au Nord de l’Islande, sur les îles volcaniques ! » quand ce n’est pas encore plus près du Pôle. Bon, il faut dire que le Français moyen situerait volontiers L’Allemagne entre le Nord de l’Islande, le sud du Pôle Nord et l’ouest de
Föhr. Port d’arrivée : Wik.
J’arrive en fin d`après-midi, ce jour-là, avec le soleil couchant. La lumière est rasante, froide, une lumière d’Europe du Nord. C’est juillet. Chez nous, dans le sud de
Je débarque mon vélo du ferry et déambule dans les ruelles de Wik. C’est un dédale d’impasses bordées de murs de brique rouge, recouverts de rosiers grimpants, d’ampélopsis, de glycines, un recroquevillement de petites maisons de pêcheurs, fraîchement repeintes, cachant jalousement des arrière-cours desquelles s’échappent des rires d’enfants qui jouent, des bruits furtifs de chats qui passent de jardins en jardins, de bêches creusant la terre de minuscules carrés potagers. Une ou deux pancartes accrochées aux carreaux d’une fenêtre signalent des chambres d’hôtes encore libres. Plus loin, au bout d’une ruelle s’étend la plage.
Le temps est incertain et les baigneurs trouvent refuge dans les siège-paniers qui s’égrènent le long du bord de mer.
Je me dirige vers un des cafés qui offre encore une place libre sous son auvent. Le tonnerre gronde et il se met à pleuvoir des cordes comme si nous étions sous les Tropiques, la chaleur en moins. A côté de moi, un groupe de grands-mères, visiblement amies de longue date, s’est installé pour boire le café et manger des gâteaux. Probablement en visite sur l’île, touristes de passage, peut-être elles aussi. Elles se marrent comme des bossus.
Je n’ai pas fait attention à ce qu’elles se racontent mais je les envie de pouvoir être de si bonne humeur, par un temps pareil, surtout au mois de juillet ! Puis, j’entreprends de parler à celle qui se trouve le plus proche de moi. Après tout, les Allemands m’intéressent : je voudrais tout connaître, tout savoir, tout comprendre d’eux ! Une grand-mère de Föhr, je n’ai pas encore ça dans ma collection de rencontres.
Non, elle n’habite pas sur l’ile, mais dans les environs, sur le continent. Oui, elle est bien avec un groupe d’amies. Elles sont venues en pèlerinage. En pèlerinage à Wik ! Mon air effaré la fait soupirer. Alors elle me raconte. Les autres se sont tu. Elle me raconte son enfance en Silésie avec ses parents. Son père médecin et sa mère infirmière. Elle, enfant unique. Les Russes, un jour, sont arrivés. Le père était déjà mort. La mère et elle ont fui à travers villages et champs. Puis les Russes les ont rattrapées. Sur la route, ils ont fait agenouiller la mère devant elle et lui ont tiré une balle dans
Elle et ses amies revenaient voir l’orphelinat où elles avaient toutes vécu.
Au fur et à mesure de ses paroles, le silence se faisait autour d’elle et toutes ses amies avaient les larmes aux yeux.
Ce jour là, j’ai eu du mal à rentrer à l’hôtel, à m’endormir. Intérieurement, je pleurais. A travers ce voyage, avec mon vélo, je cherchais l’aventure. J’avais trouvé mieux que ca : une rencontre imprévue avec une destinée.
C. Seigneur
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